La jeune entreprise canadienne détourne la machinerie cellulaire des insectes pour changer la façon dont les scientifiques travaillent et ouvrir la voie à un avenir plus vert.

Vous pensez peut-être que l’agaçante mouche à fruits qui bourdonne dans votre cuisine n’est rien d’autre qu’un vulgaire parasite, mais détrompez-vous. Il s’avère que les mouches à fruits partagent 60 % du même ADN que nous et 75 % des gènes responsables des maladies humaines. Elles évoluent également à un rythme incroyablement rapide – suffisamment rapide, selon certaines études, pour répondre aux changements saisonniers de leur environnement. Cela en fait des candidates idéales pour la recherche scientifique, et en particulier pour les études génétiques.

En fait, les mouches à fruits ont contribué à six prix Nobel. Au fil des décennies, les scientifiques ont utilisé des mouches à fruits pour étudier les origines et le développement de certaines maladies comme la maladie d’Alzheimer, le syndrome de Down (ou trisomie 21), l’autisme et le diabète. Ils les ont aussi utilisées pour en apprendre davantage sur les traits héréditaires, les rythmes circadiens, la manière de bloquer la propagation des cellules cancéreuses et même notre sens de l’odorat.

L’histoire scientifique de la mouche à fruits, sous-estimée mais remarquable, est au cœur des produits novateurs de la société de biotechnologie Future Fields d’Edmonton. L’entreprise, fondée en 2018, utilise la biotechnologie des mouches pour créer des protéines recombinantes plus durables et plus rentables, qui sont utilisées dans une grande variété d’applications, notamment par les scientifiques pour faire croître les cultures cellulaires. Les protéines recombinantes sont un élément essentiel de la biotechnologie et sont utilisées dans divers domaines, des expériences biopharmaceutiques à la recherche sur les cellules souches, en passant par les études sur la fertilité, la production alimentaire, et plus encore.

L’objectif ultime de Future Fields : une biofabrication plus verte et plus rentable qui protège la planète et stimule les progrès scientifiques.

La genèse du projet : les croquettes de poulet

Initialement, le couple de cofondateurs de Future Fields, Matt Anderson-Baron et Jalene Anderson-Baron, voulait produire la première croquette de poulet issue de l’agriculture cellulaire au Canada, donc produire des croquettes à partir de poulets élevés en laboratoire au lieu de s’approvisionner dans une ferme. Et pourquoi avoir choisi les croquettes de poulet? Parce que le poulet est la viande la plus couramment consommée dans le monde et que même un enfant de cinq ans aime les croquettes de poulet.

Le duo a par contre dû faire face à tout un obstacle. Les facteurs de croissance nécessaires à son entreprise de production de croquettes de poulet en laboratoire coûtaient trop cher, ce qui venait mettre un frein à la création d’un produit rentable. Les deux cofondateurs se sont ainsi concentrés sur la résolution de leur problème sous-jacent, soit comment fabriquer des facteurs de croissance à un prix plus abordable et dans une optique plus durable.

À ce moment-là, Matt terminait son doctorat en biologie cellulaire. Et pendant ses études, il avait beaucoup travaillé avec les mouches à fruits. Jalene, qui occupe maintenant le poste de cheffe de l’exploitation de Future Fields, avoue qu’elle ne savait pas trop sur quoi Matt travaillait. Elle savait par contre que les mouches à fruits « possèdent un organisme modèle hors pair et qu’elles sont grandement utilisées pour la recherche ».

Jalene a d’ailleurs suggéré l’idée d’utiliser des mouches à fruits comme solution au problème de Future Fields, mais cette solution a fini par prendre une autre tangente. « Je crois qu’au début, je voulais que les mouches à fruits servent d’engrais pour les milieux de culture. Je voulais donc les écraser pour les répandre dans les milieux de culture. Mais ce n’est pas ce que nous faisons, dit-elle en riant. Mais c’est de cette idée que le projet est né. »

Matt, qui occupe également le poste de chef de la direction de Future Fields, explique que l’idée a fait du chemin et que maintenant, la société utilise les mouches à fruits comme moteur de production. « Grâce au génie génétique, nous faisons en sorte que les mouches à fruits produisent des molécules de protéine bien particulières que nous pouvons ensuite extraire. »

« Même si les scientifiques ont recours aux mouches à fruits depuis plus de 120 ans, celles-ci n’ont jamais été utilisées comme une plateforme de biofabrication. Nous nous appuyons donc sur le travail colossal accompli par ces grands scientifiques, indique Matt. Notre entreprise peut ainsi mettre toutes ces données recueillies et bon nombre d’outils en génétique au service d’une application révolutionnaire ».

Bienvenue à la biorévolution

Cette percée a complètement changé la manière dont les scientifiques mènent des expériences et fabriquent des produits. « La production d’une molécule comme l’insuline est un exemple que la plupart des gens pourraient connaître, affirme Matt. Au cours des 50 dernières années, l’insuline a été produite en insérant le gène de l’insuline dans des microbes (levure ou E. coli), qui sont ensuite cultivés dans de grands réservoirs en acier inoxydable appelés bioréacteurs. Après quelques semaines de culture, les scientifiques peuvent prélever et purifier la protéine d’insuline. »

Future Fields élimine la nécessité d’utiliser des bioréacteurs géants en acier, qui sont énergivores et très coûteux à exploiter, en les remplaçant par des mouches à fruits. « Nous détournons la machinerie cellulaire de l’insecte pour produire une protéine, puis nous créons un élevage à grande échelle de ces insectes. Nous les élevons dans de simples contenants en plastique bon marché, et nous les nourrissons d’une matière première peu coûteuse et adaptable. Une fois que nous avons généré cette biomasse, nous pouvons la récolter et en extraire la protéine qui nous intéresse », déclare Matt.

Il affirme qu’en théorie, cette technique peut être utilisée pour n’importe quelle protéine.

Les protéines recombinantes de Future Fields contribuent à la fois directement et indirectement à la durabilité. Elles permettent aux laboratoires de réduire considérablement la quantité d’énergie qu’ils utilisent, et en rendant les recherches scientifiques et la fabrication de produits beaucoup plus abordables, elles aident également des secteurs comme celui de l’agriculture cellulaire à progresser et à devenir commercialement viables plus rapidement.

« En facilitant la culture cellulaire, nous contribuons à créer une industrie qui pourrait aider à réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par l’élevage de bétail, qui représentent plus de 15 % des émissions totales. »

« En facilitant la culture cellulaire, nous contribuons à créer une industrie qui pourrait aider à réduire les émissions de gaz à effet de serre généré par l’élevage de bétail, qui représentent plus de 15 % des émissions totales », déclare Matt.

Selon Jalene, le travail qu’ils accomplissent à Future Fields fait partie de la biorévolution, un terme qui fait référence à « l’évolution rapide que nous observons depuis quelques dizaines d’années dans notre capacité à tout fabriquer, qu’il s’agisse de nourriture, de différents types de matériaux ou de produits énergétiques, thérapeutiques ou pharmaceutiques, en utilisant la biologie plutôt que les méthodes traditionnelles. » La biorévolution est toutefois loin d’être terminée.

« Elle est assurément toujours en cours. Selon une statistique que j’ai lue récemment, nous pourrions en théorie produire jusqu’à 60 % des intrants physiques de notre économie à l’aide de la biologie, dit Jalene. C’est donc dire que plus de la moitié de ce que nous produisons à l’échelle mondiale en ce moment pourrait en théorie être produit à l’aide de la biologie. C’est plutôt incroyable. »

Conjoints et collègues, pour le meilleur et pour le pire

La société de biotechnologie Future Fields est fascinante à bien des égards, mais l’idée qu’un mari et sa femme, parents d’un enfant en bas âge, cofondent et développent une entreprise en démarrage sans que l’un d’eux doivent dormir sur le divan peut sembler encore plus extraordinaire pour bien du monde.

Matt et Jalene admettent que ce n’est pas toujours facile. « Je dis sans cesse aux gens que c’est excellent pour l’entreprise d’être marié au cofondateur, mais cela met aussi le mariage à rude épreuve », affirme Matt.

« Communiquer ouvertement, donner de la rétroaction, et avoir parfois des conversations difficiles avec votre cofondateur est peut-être ce qui compte le plus dans la gestion d’une entreprise. »

Cette situation offre sans aucun doute de grands avantages. « Nous pouvons être plus efficaces. D’abord, on ne pourrait pas avoir autant de réunions à 23 h sur l’oreiller, littéralement, s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Ensuite, il faut qu’il y ait un certain degré de transparence et d’honnêteté avec votre cofondateur, et c’est 100 fois plus vrai avec votre partenaire de vie », soutient-il.

« Une des choses que nous avons apprises, c’est que communiquer ouvertement, donner de la rétroaction, et avoir parfois des conversations difficiles avec votre cofondateur est peut-être ce qui compte le plus dans la gestion d’une entreprise », explique Jalene.

Mais parmi les désavantages, il y a le fait que leur mariage se retrouve souvent « relégué au second plan, car la parentalité prime, ensuite l’entreprise, puis le mariage. De plus, c’est difficile de séparer travail et famille, mais nous faisons de notre mieux pour ne pas parler du travail lorsque notre fille ne dort pas. Nous cherchons à établir de meilleures limites. »

Jalene estime que le fait d’avoir un conjoint cofondateur ajoute aussi un autre élément de stress. « On vit tous les deux les mêmes stress au même moment. Ce n’est pas comme une situation habituelle où les gens vivent des hauts et des bas au travail, mais avec un peu de chance pas toujours en même temps. »

Du fait qu’ils sont parents, Matt et Jalene ont adopté une approche qui privilégie la famille et qui influence la culture et les politiques de l’entreprise en matière de vacances et de congés parentaux. « Quand je repenserai à cette période, j’ai toujours dit que je ne voudrais pas que je regrette la manière dont nous avons vécu notre vie », affirme Jalene. « Nous ne voulons absolument pas que quelqu’un rate une activité familiale, comme un thé de la fête des Mères ou un récital de piano, ou encore ait peur de s’absenter pour prendre soin de soi-même ou d’un membre de sa famille. »

L’avantage d’Edmonton

Le duo attribue une partie de son succès au fait qu’il est installé à Edmonton, en Alberta. « Grâce aux nombreuses initiatives et organisations locales, c’est un endroit idéal pour démarrer une entreprise, explique Matt. On y retrouve notamment Startup TNT et le groupe qui a mis sur pieds les YEG Startup Awards il y a quelques années. » (Aux YEG Startup Awards, Future Fields a remporté le prix Best Startup Workplace en 2022 et a été nommé dans la catégorie Most Edmonton Startup en 2023.)

« Nous avons reçu un soutien important des trois paliers gouvernementaux et avons eu facilement accès à des subventions, explique Jalene. La ville d’Edmonton a été un partenaire extraordinaire. Lorsque nous avons créé notre premier siège social, elle nous a aidés à nous y retrouver parmi les codes de prévention des incendies, les permis d’exploitation et toutes ces choses difficiles à comprendre. »

Et s’ils ont pu y établir leur siège social, c’est qu’Edmonton est relativement abordable. « À nos débuts, c’était très important de disposer de locaux de laboratoire à un prix accessible, ce qui est difficile à dénicher dans de nombreuses villes », croit Jalene.

Un jour, Future Fields a remporté un concours lui donnant accès à un laboratoire à Boston, mais elle a choisi de refuser le prix en constatant que le loyer était trop cher. « Un laboratoire de 1 000 pieds carrés nous aurait coûté 60 000 dollars par mois, se souvient Matt. C’est environ huit fois ce que nous payons pour l’ensemble de nos installations à Edmonton. »

À leurs débuts, ils ont eu accès à des locaux de laboratoire par l’intermédiaire de Health Innovation Hub, un incubateur d’entreprises qui travaillent sur des projets de santé humaine. « Honnêtement, j’ignore ce que nous aurions fait sans cet appui, dit Jalene. Quand on débute, on a une idée, mais encore faut-il prouver sa valeur. Avoir accès à un laboratoire n’est pas facile lorsqu’on n’a pas d’argent : on ne peut pas se présenter tout bonnement à une université et se mettre au travail. »

Selon Matt, leur relation avec RBCx a également joué un grand rôle dans leur parcours entrepreneurial. « Le fait de pouvoir compter sur un partenaire bancaire qui comprend la réalité des entreprises en démarrage à fort potentiel financées par capital-risque nous aide vraiment à trouver des solutions financières. Beaucoup de banques traditionnelles ne comprennent pas les particularités de notre mode de fonctionnement par rapport à celui d’entreprises plus traditionnelles. »

En un peu moins de cinq ans, Future Fields s’est développée rapidement : et ce n’est qu’un début. « Nous élaborons actuellement notre projet pilote d’installation de fabrication, et c’est très stimulant parce que nous pourrons augmenter considérablement notre capacité de biofabrication en plein cœur d’Edmonton, affirme Jalene. Nous allons renforcer notre présence, accroître la qualité de nos produits, atteindre davantage de seuils réglementaires et accéder à de nouveaux marchés. »

« Les cinq prochaines années s’annoncent passionnantes, déclare Matt. Sans compter que nous sommes ravis à l’idée de poursuivre le travail ici, à Edmonton. »

Pour en savoir plus sur Future Fields, visitez le site FutureFields.io.

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